Mouloud Benzadi
(Ecrivain-Algerie)
C’est par un jour morose de juin 1911 que Fouad prend congé des siens, en direction de l’aéroport international dAlger, Houari Boumediene, en un exil volontaire.. Quest-ce quelle est étrange, cette vie !.. Hier seulement, le sort sétait acharné sur lui en mettant fin à sa relation avec sa bien-aimée le laissant seul avec les affres de son affliction et de sa profonde solitude spirituelle. Dure, dure cette séparation davec sa dulcinée !.. Serait-il un oiseau que rien, ni personne ne laurait empêché
dêtre auprès delle, le temps dun battement d’ail
Et comme si cela nétait pas assez, voici encore sa bonne étoile, pâlissante, qui veut quil quitte jusqu à sa patrie ; le cur encore saignant de sa première blessure. Oui, ainsi en a décidé le destin ! Tout quitter, pour prendre le chemin de cette « déportation » volontaire!..
Dire quil était écrit quelques parts dans les tablettes de sa destinée, quun jour viendrait où, la mort dans lâme, il devrait quitter le pays qui lavait vu naître et grandir, mais aussi aimer. Tendant sa main, il se saisit de sa valise ; sapprêtant à quitter sa chambre, le cur lourd et mortifié. A peine arrivé au seuil de la porte quil tombe en arrêt ; faisant volte face, il ne peut sempêcher den embrasser tendrement tout le moblier du regard. Choses inanimées, avez-vous donc une âme qui retient la nôtre et loblige à vous aimer ? Ces poèmes lui reviennent en mémoire et ajoutent à son désarroi. Cela doit être vrai, sinon comment expliquer le fait quil ne peut détacher son regard de son bureau, de son lit et de ses tableaux ornant les murs !.. Il a beau vouloir sen défaire, mais ses yeux semblent comme attirés par un aimant invisible qui les retient prisonniers des moindres coins et recoins de ce qui a été un jour son havre de paix .
Partir, c’est mourir un peu, dit-on. Il savait cela bien avant. A présent cependant, il en fait lamère expérience. Face aux siens qui le couvent du regard, il essaie tant bien que mal de cacher son bouleversement. Il est des circonstances où quelque soit lattitude du corps, lâme est à genoux, disait Victor Hugo, en substance. Comme il a raison ! Tête baissée, il passe devant eux ; ne sachant à quel saint se vouer ; faisant tout pour éviter leurs regards fixés intensément sur lui
Pour sa mère affligée, pas question de laisser partir son fils sans une dernière étreinte. Elle qui laimait tant ! Au point den faire son préféré. Le regard éperdu et accablé, elle tend ses mains vers lui. Répondant à son appel muet, il fait à son tour quelques pas vers ses bras qui se referment aussitôt sur lui avec avidité. Néanmoins, désireux de ne pas trop montrer son trouble, au bout de quelques minutes seulement, il sen détache doucement mais fermement ; séloignant delle, les yeux fixant la terre ; ne sachant trop que penser ou dire. Cependant, après quelques pas, marquant un temps darrêt, il jette un dernier regard sur son épaule et remarque les joues maculées de larmes de sa mère. Quant à lui, quoique ému jusqu aux larmes, il arrive cependant à se maîtriser tout en reprenant sa progression vers la porte de sortie. Pas pour bien longtemps cependant, car à peine arrivé hors de leur vue que son abattement est tel quil se rend compte quil pleurait à chaudes larmes, sans même sen rendre compte
Assurément, cela fait peine à voir que limage de ce garçon qui vient de subir deux cruelles séparations, coup sur coup !.. Le cur oppressé et déchiré par la douleur, il se comme un fétu de paille pris dans la tornade de sa double mortification, alourdissant davantage ses pas, le portant vers l’inconnu
Vers les coups de midi, le voici prenant place dans un avion de la compagnie Air-Algérie, en partance vers Londres ; laissant errer son regard par-delà le hublot de lappareil doù il peut contempler à loisir un ciel uniformément bleu, où brille un astre embelli par des franges dorées.
Oui, le voici quittant le ciel indigo de son pays pour arriver, quelques trois heures plus tard, sous un autre ciel. Un ciel presque constamment couvert et pluvieux, comme venait de lannoncer la météo, tout à lheure. En somme, une perspective peu réjouissante, surtout si lon tient compte de son état dabattement antérieur. Avec un pincement au cur, il reporte son regard vers le hublot, unique lien à présent avec le monde extérieur. Jamais, il naurait pensé que lidée de quitter son pays le ferait souffrir à ce point-là. Saisi quil était à la gorge par une vive émotion quasi-physique, à l’idée que, plus jamais, il ne pourrait retrouver, nulle part ailleurs, terre plus douce et plus accueillante que celle de ses ancêtres !.. Encore une fois, il a du mal à réprimer son émotion
Comme malgré lui, son regard baigné par les larmes, se tourne irrésistiblement du côté du hublot tandis que, prenant tout son temps, lavion continue sa lente progression en vue de prendre son envol, face au vent. En surimpression, lui apparaît la séquence de sa première rencontre avec sa bien aimé. Le jour où, se trouvant dans sa chambre, et à travers la porte entrouverte, ses yeux sont tombés sur elle pour la première fois. Elle était alors accompagnée par la femme de son oncle, à lui. En un mot, comme en mille, ce fut tout simplement le coup de foudre
L’image est tellement précise et nette que cest comme sil la revivait encore ici et maintenant. Et avec elle, toutes ces lettres débordant damour, de passion et de tendresse quelle lui écrivait. Avec un immense regret, le voici revoyant avec une précision photographique leur première rencontre dans le local de cet oncle. Là, il faut dire quil était aux anges !.. Résonnent encore à ses oreilles ses promesses, sa constance et ses sacrifices dont elle disait être prête à faire montre pour ce qui était de son amour
Tel un film, les images douloureuses de l’instant où il a dû dire au revoir à sa famille remontent à la surface de son esprit pour ajouter à son accablement sur le rythme de la célèbre chanson : Que ne ferais-je pas pour toublier / T’oublier, en oubliant mon âme à tes côtés
Tout d’un coup, une légère secousse vient le tirer de sa torpeur ; et en même temps mettre fin à ses tourments. Au même moment, la voix du commandant de bord demandant aux voyageurs de prendre leur place et de boucler leurs ceintures de sécurité se fait entendre ; lappareil s’apprêtant à décoller d’une minute à lautre. Poussés à fond, le vrombissement des moteurs est assourdissant. Du coup, roulant de plus en ville sur le tarmac, l’avion, comme se jouant de la gravité terrestre, lève son nez et prend son envol avec grâce. Arrivé à une certaine altitude, il amorce un virage vers le Nord et commence aussitôt à survoler la Grande Bleue. Bientôt, le doux et mielleux soleil de son pays ne sera plus quun lointain souvenir pour ce voyageur installé impassiblement sur son siège ; le regard absent, les traits brouillés par les larmes et lesprit encore empli de sa triste histoire dont les pages sont autant de larmes et de souffrances quil se doit décrire un jour peut-être
FIN
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Tiré du roman intitulé “les vents du destin”, basé sur une histoire vraie, de l’écrivain Mouloud Benzadi – Royaume-Uni , Traduit par Mr Nadir Sobhi